Bonjour cher lecteur,

Deux jours avant Noël et cinq jours avant mon troisième départ au Japon, voici pour toi un petit texte que j'ai écrit il y a maintenant 17 ans, à l'âge de 17 ans...

Qu'est-ce que la japonite ?

C'est une maladie par ailleurs fort agréable, bien qu'on en souffre, qui s'attrape au Japon et dont on ne perçoit les effets qu'après avoir quitté celui-ci. Pour la comparer à quelque chose de connu, on pourrait dire que c'est une sorte de mal du pays spécifique au Japon qui touche les étrangers qui y ont habité.

Pendant une crise, le malade subit un dérèglement physique, provoquant des envies soudaines comme celle de manger au petit déjeûner un oeuf cru versé sur un bol de riz avec des feuilles d'algues séchées, mais aussi un dérèglement psychologique, qui le pousse à repasser en mémoire tous ses souvenirs concernant le Japon : des cours d'Aïkido du dimanche matin, où l'on essaie de saisir la logique des mouvements, en passant par les temples enfouis dans des jardins tout de mousse et de bambous où seul le silence recueilli de la nature rivalise avec la beauté des prières lancinantes du bonze, au bar traditionnel de quartier, la Nomiya, où l'on peut déguster des petits crabes croustillants en buvant du saké dans des verres carrés en bois, mais aussi les immenses gratte-ciels de Tokyo, esthétiques et fonctionnels, conçus pour résister aux tremblements de terre.

Tous ces souvenirs s'entremêlent pour faire rejaillir un sentiment profond de désespoir ; désespoir de ne pas être là-bas, à Okinawa sur la plage ou dans le Hokkaidô sur une mer gelée, ou encore à Tokyo, dans une petite maison coincée entre deux immeubles, vestige tenace de l'architecture traditionnelle, résistant à l'assaut des promoteurs immobiliers et des typhons... Espoir aussi d'y être, d'y revenir...


Emmanuel Prouvèze
(vendredi 16 décembre 1988)