Hélène, une amie proche (bon, ok, disons mon ex), était venue travailler quelques mois dans mon entreprise d'alors, dans le quartier de hanzômon à Tokyo. Sortant chercher quelque chose à manger le midi en compagnie d'une collègue japonaise, elle manque de se faire rouler sur les pieds par une voiture de sport qui roulait un peu trop vite. Réagissant au quart de tour, elle flanque ses deux poings "fermement" sur le toit de la voiture en question, qui du coup s'arrête.

En sort un jeune japonais très excité, qui lui reproche d'avoir osé toucher à sa voiture si précieuse (qui n'avait rien, pas une égratignure). Hélène s'empresse de lui faire remarquer que ses pieds sont non moins précieux que la carrosserie de son bolide, et que s'il conduisait un peu mieux, ils n'auraient pas eu l'occasion de faire connaissance.

Cela aurait pu en rester là, et cela aurait probablement été le cas avec un jeune japonais un peu fougueux mais néanmoins "normal". Mais le jeune homme en question était yakuza (à priori vers le bas de l'échelle, vu son âge et son comportement). Le yakuza n'allait pas se laisser tenir tête par une femme, dans une rue pleine de monde et de plus devant sa copine, passagère de la voiture... En principe, on ne s'amuse pas à défier un yakuza, car à travers lui c'est l'honneur du clan que l'on bafoue... Les yakuza fondent un grande partie de leur influence sur leur image de gens violents, féroces et intraitables, il ne fallait pas qu'il laisse une gaijin laisser penser aux japonais présents que cette image pouvait ne pas refléter la réalité.

Hélène, yakuza ou pas, n'avait pourtant pas l'intention de se laisser faire, et, le ton montant de part et d'autre, il fut vite question d'aller voir la police (c'est pas mal ça, un yakuza qui veut aller voir la police parce qu'une jeune femme a touché sa voiture...). Le yakuza proposant d'y aller tous ensemble dans sa voiture (c'est cela oui, bien sûr mon coco..), la police fut finalement appelée et arriva rapidement sur les lieux.

Une fois au commissariat central de l'arrondissement, le yakuza et Hélène furent emmenés dans deux pièces séparées dans le départment en charge des affaires relatives aux organisations mafieuses (oui, la police japonaise a un département pour la mafia...). J'y rejoignis rapidement Hélène avec mon patron, Brendan.

C'est là que l'histoire devient intéressante... Une série d'allers et retours entre les deux pièces donnèrent les échanges suivants (sur 10-20 minutes, je résume) :
  • Le Monsieur se plaint que vous avez abîmé sa voiture, il faut s'excuser
  • Non, il a failli m'écraser, c'est à lui de s'excuser !
  • Non, c'est à vous de le faire, sa voiture a été abîmée.
  • Non, c'est à lui de le faire, et s'il ne le fait pas, nous n'en resterons pas là, l'ambassadeur d'Irlande (Brendan est Irlandais) sera informé et prendra les mesures adéquates. [C'est fou ce que le fait de mentionner une ambassade étrangère peut changer les choses...]
  • Bon, attendez...
Et là, au bout de plusieurs minutes, un policier revient nous voir, et dit, très sérieux : "L'autre personne vous présente ses excuses". On n'y croit pas une minute, mais l'objectif n'étant pas forcément d'obtenir des excuses mais simplement de ne pas laisser le yakuza gagner la partie, nous en restons là. Rien ne nous dit ceci dit que les policiers ne lui ont pas dit qu'Hélène s'excusait... Va savoir !

Les policiers nous raccompagnent ensuite par un chemin détourné (pour ne pas risquer de croiser le yakuza) jusqu'à la porte du garage du commissariat. Là, le policier nous dit :"Ne vous inquiétez pas, nous avons fait des recherches, cette personne ne figure pas dans nos listes en tant que membre d'une organisation mafieuse. Ceci dit, ce que que vous avez fait était courageux, mais aussi très dangereux. Vous avez pris de gros risques ! Soyez prudents à compter de maintenant...". Puis il nous ouvre la porte et nous fait sortir !

Lors de cet épisode, l'attitude des policiers nous a vraiment donné l'impression qu'ils craignaient les yakuza, et qu'ils n'avaient pas les moyens de défendre les gens contre ceux-ci. Le jeune policier qui nous a raccompagnés semblait tout à la fois content que nous ayons tenu tête au yakuza (malgré le fait qu'il ne soit pas inscrit dans leur "listes", il était évident pour lui qu'il était yakuza) se disant que peu de gens auraient osé le faire (étrangers inconscients...), tout en s'inquiétant des conséquences que cela pouvait avoir pour nous. Il n'excluait clairement pas des représailles, même si le rang du yakuza (probablement vers le bas de l'échelle) incitait à penser que les chances que cela se produise étaient faibles...

Suite à cette histoire, la collègue japonaise n'est plus jamais sortie pour manger le midi. Depuis ce jour, elle a apporté tous les matins un bentô qu'elle mangeait au bureau sans mettre le nez dehors, de peur de rencontrer à nouveau ce yakuza. Elle était réellement terrifiée par ce qui s'était passé, comme quoi l'image des yakuza dangereux est intacte... Quant à nous, nous n'avons plus jamais eu affaire à ce yakuza...

Il n'est pas étonnant que dans un pays où le crime est à un taux très bas, la moindre manifestation de violence (ou menace implicite de violence) terrifie les japonais. Cette anecdote ne doit vous empêcher de penser que le Japon est un pays sûr, où l'on se sent immédiatement en sécurité (à moins de vouloir taper sur toutes les voitures de sport qui se présentent ;-) ). Les femmes peuvent se promener dans Tokyo au beau milieu de la nuit sans craindre de se faire agresser.

A ce propos, les images de "violences urbaines" récemment survenues en France ont effrayé les japonais, et ceux qui ont eu à aller en France pendant cette période y sont partis avec l'idée qu'ils allaient se retrouver dans un pays quasiment en guerre...

Et vous, avez-vous des histoires de yakuza à raconter ?